
Le tour du monde de Baluchon
Lancé dans une seconde aventure autour du monde sur Baluchon, son tout petit voilier de 4 mètres, l’intrépide Yann Quenet a rallié Saint-Pierre-et-Miquelon, mi-juin, depuis Saint-Martin, après 39 jours de mer. Après nous avoir livré ses premières réactions dans une vidéo publiée sur notre site, il a accepté de nous faire le récit de cette épopée riche en rebondissements et en imprévus. À savourer autant pour le style délié du marin que pour cette ode moderne à la liberté.
Après avoir quitté les Antilles début mai 2025, Yann Quenet et son Baluchon ont atteint Saint-Pierre-et-Miquelon à la mi-juin après 39 jours de mer. | YANN QUENET
Yann QUENET.
Publié le 27/06/2025 à 08h12
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Saint-Martin. Mai 2025. Cela fait bientôt cinq mois que je végète aux Antilles, enchaînant de petits sauts de puce d’île en île. L’attente me pèse. Heureusement, au chantier naval de Geminga, où l’on m’a offert un bout de ponton, l’ambiance est joyeusement poussiéreuse : ça ponce, ça meule, ça bricole à longueur de journée… Et chaque soir, tout le monde se retrouve autour du billard. J’y suis mieux qu’en marina aseptisée ou dans un mouillage surpeuplé. Mais malgré cette bulle d’entraide, l’appel du large devient de plus en plus pressant. J’ai soif d’immensité, de solitude, de vrai large. Ici, on n’est jamais vraiment seul : une île pointe toujours à l’horizon pour briser l’illusion d’infini. Le tourisme de masse n’aide pas. Ces flottes de catamarans remplis de vacanciers heureux, venus chercher leur tranche de paradis, me rappellent que je ne veux pas être assimilé à cette frénésie. Je culpabilise, sans raison. Je ne dois rien à personne, et pourtant cette étiquette de touriste me dérange. Ni moi ni Baluchon n’avons notre place ici à errer mollement. On est fait pour le mouvement. À rester trop longtemps, on finit par s’échouer, comme tant d’autres, sous le soleil et le rhum.
L’impatience me ronge
Plusieurs fois, j’ai failli partir sur un coup de tête. Mais l’hiver dans l’Atlantique Nord n’est pas une blague. J’ai donc attendu. Pas le pire endroit pour patienter, certes, mais l’impatience me ronge, et le bateau aussi. L’antifouling breton ne fait pas long feu sous ces latitudes : je dois plonger chaque semaine pour gratter la coque. Un voilier n’est pas fait pour stagner dans le clapot d’un lagon. Il est temps de lever l’ancre. Cap au Nord, vers Saint-Pierre-et-Miquelon. Je préfère éviter d’entrer directement dans un pays anglo-saxon, leurs formalités me rebutent. Que la vie serait simple sans frontières… À Saint-Martin, il faut passer sous un pont qui ne s’ouvre qu’à heures fixes. Mais Baluchon a sa botte secrète : il suffit d’ôter le mât. En moins d’une minute, c’est fait, surtout avec la nouvelle boîte à mât. Je godille, accompagné d’Hervé, un pote de Trébeurden, et j’ancre côté mer pour les derniers réglages. En voulant recharger ma caméra, je découvre mes batteries lithium à plat. Ça devient une habitude. Je me jure de m’en débarrasser à la prochaine escale. Je compte sur ma seule batterie au gel pour tenir ces 1 800 milles. Un autre souci m’inquiète davantage : mon boîtier AIS ne fonctionne plus. Embêtant dans les parages de Terre-Neuve où le brouillard règne. Je vérifie les câbles, rien. Et puis j’ai une intuition : la housse de la grand-voile gêne peut-être l’antenne. Je l’enlève. Bingo, le signal revient. Ça y est. Je plonge une dernière fois pour nettoyer la coque. Le large nous attend.
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Yann Quenet : « Ni moi ni Baluchon n’avons notre place ici à errer mollement. On est fait pour le mouvement. » | YANN QUENET
Les premiers jours, Baluchon lambine, mollasson comme le vent. Les prévisions disaient d’attendre une semaine, mais j’ai filé quand même. Résultat : pétole totale. Une bulle sans vent s’est abattue sur les tropiques, rare en cette saison. Le troisième jour, plus un souffle. Huit milles dans la journée. Certains en deviendraient fous. Pas moi. J’ai à bord des boîtes de sardines à foison, des nouilles, des repas lyophilisés, et même un dessalinisateur manuel déniché à Marie-Galante, vestige d’un avion de ligne. Je pourrais tenir des mois. La mer est devenue un miroir. L’eau est d’un bleu électrique, parfaitement translucide. Trois dorades Coryphène nagent sous la coque, accompagnées d’un cortège de petits poissons. À chaque paquet de sargasses, ils font une inspection méthodique, avant de revenir se réfugier sous Baluchon. Je passe des heures à les observer, fasciné. Un jour, le soleil tape fort dans la cabine. Je sors la godille pour faire pivoter le bateau. Les poissons suivent les mouvements de l’aviron, curieux. J’en heurte un par mégarde. Je m’excuse à voix haute. Ces instants sont rares : le temps semble suspendu. La plupart des marins auraient démarré le moteur pour fuir cette immobilité suspecte. Mais moi, je savoure. L’immobilité, c’est un luxe. Un privilège. Dans ce monde obsédé par la vitesse, s’arrêter relève presque de l’hérésie.
Mon voyage sort des cases.
Je passe mes journées torse nu sous un chapeau de paille, et malgré ça, je me prends deux bons coups de soleil. Quelqu’un, inquiet de me voir à l’arrêt sur l’AIS, appelle les secours. Je reçois un SMS : fausse alerte. Ça m’agace. Mon voyage sort des cases, et certains me trouvent peut-être trop rêveur, pas assez sérieux pour l’aventure. Pourtant, je ne me sens pas plus en danger qu’un autre. Statistiquement, j’ai même moins de risques de collision qu’un voilier de 8 mètres. Après trois jours quasi immobile, un petit souffle se lève. C’est léger, mais suffisant pour avancer. Bébert, ma girouette, peine à barrer dans cette brise timide. Je tente de m’en passer, économisant au maximum ma batterie. J’enroule un peu la voile pour rendre le bateau neutre, mais une vilaine poche se forme en tête de mât. J’avais imaginé une corne souple pour améliorer l’écoulement et réduire la hauteur du gréement, mais j’ai manqué de temps. R & D version artisanale reportée à plus tard.
J’ai encore tant à apprendre.
En mer, le bricolage n’a pas de fin. Chaque détail du bateau est perfectible. C’est ça qui est beau : on progresse sans fin. Et moi, j’ai encore tant à apprendre. Peu à peu, je retrouve mon harmonie. Loin des tensions du rivage, je redeviens moi-même. La mer me débarrasse de mes pesanteurs. Je me sens léger, presque aérien. Le temps s’évanouit, les minutes s’égouttent dans une éternité douce. Plus besoin de planifier quoi que ce soit : ici, seul le présent compte. Je rêve, je m’ennuie, je contemple. Il n’y a pas grand-chose à faire à bord : régler la voile, observer l’horizon, râler quand une vague inonde ma couchette. Je dors quand j’ai sommeil, je mange quand j’ai faim. Roi du monde. Je lis aussi, beaucoup. Quelques heures par jour, sur liseuse ou papier. J’évite les polars, trop de noirceur. Je suis resté trop naïf pour croire aux tueurs et aux flics. J’ai tenté Conrad, un essai sur la décroissance, un autre sur le Kremlin, un Thoreau soporifique. Et puis La vie devant soi de Romain Gary. Une claque. Un vertige. Quand je l’ai refermé, j’étais sonné. Plus rien ne tenait la comparaison.
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Aucune place pour l’improvisation sur Baluchon, micro voilier de 4 mètres sur lequel Yann Quenet a repris la mer le 20 juin 2024 pour un second tour du monde. | YANN QUENET
J’ai manqué de vigilance. Un jour de pétole, Bébert ne pouvant plus tenir la barre, j’ai mis le pilote électrique pendant des heures. Résultat : ma batterie au gel s’est vidée, et depuis, elle ne tient plus la charge. Tout ça pour gratter quelques milles… C’est idiot. Heureusement, mes deux petites batteries au lithium ont repris du service. Je ne les aime pas, ces batteries. Sans doute à cause de ce qu’on entend sur le lithium, ses mines polluantes, les enfants exploités. Certains prétendent même que c’est le meilleur moyen de foutre le feu à bord. Et puis elles se vident pour un rien… Mais depuis peu, elles vont très bien. Rechargées à bloc par un petit panneau solaire, elles sont en pleine forme. Théoriquement, elles sont parfaites pour Baluchon : compactes, légères, données pour des cycles infinis. Alors pourquoi se vident-elles dès que je branche mon vieux smartphone ? Cet engin cabossé, rayé, à l’écran fendu, fonctionne encore parfaitement, mais je le soupçonne d’être un tueur de lithium. Un vieux militant écologiste déguisé, peut-être. Désormais, je le charge avec un mini chargeur solaire acheté trois francs six sous. Depuis, plus de souci. Le monde technologique a ses mystères…
Les sargasses sont partout
Dans les bizarreries techniques, il y a aussi ce détecteur radar qui me fait bondir au moindre bip, persuadé qu’un cargo me fonce dessus. Sauf qu’une fois sur deux, il n’y a rien. J’ai fini par comprendre que le radar klaxonne aussi quand je reçois un SMS via le tracker. Étrange. Dormir collé à une antenne qui balance des ondes façon micro-ondes dans un habitacle minuscule, c’est sans doute moyen pour la santé. Désormais, je n’allumerai cet appareil qu’une fois par jour, à l’extérieur. D’ailleurs, je le soupçonne d’avoir grillé mon premier détecteur radar et deux VHF portables. Coïncidence ? Je passe des heures à scruter la mer. Les sargasses sont partout, s’accrochent aux quilles, au safran. Je roule la voile, le bateau ralentit, elles se décrochent. Sinon, un coup de gaffe. Cette prolifération semble directement liée à la pollution humaine. Et le plastique… Je m’amuse à compter le temps entre deux déchets flottants : tous les quarts d’heure, un bouchon, un seau, un morceau de polystyrène. Ce n’est pas une mer de plastique, mais c’est constant. Et que dire des microparticules qu’on ne voit même pas ? Je croise aussi un safran de voilier à la dérive. Rien qu’aux Antilles, j’ai rencontré quatre navigateurs ayant perdu le leur sans choc. C’est grave. Trop souvent, ces pièces essentielles ne sont que de la mousse et trois bouts d’inox. Ça tient un temps, mais les vibrations, les milles, les années finissent par avoir raison de ces bricolages industriels. À tous ceux qui s’apprêtent à partir : si votre bateau a de l’âge, changez votre safran. Vraiment. En bois, en métal, mais pas en mousse avec de la strat’.
J’ai eu ma dose d’escales tropicales.
Je ne compte pas m’arrêter aux Bermudes. C’est sur la route, ça aurait été amusant de visiter le seul endroit où chaussettes et short font bon ménage. Mais j’ai eu ma dose d’escales tropicales. Et puis, c’est la Suisse de l’Atlantique : un café à 10 euros, pas pour un marin qui veut durer sans bosser. Curieusement, le mot « Bermudes » déclenche souvent la panique. Aux Antilles, certains m’ont regardé, effarés :
— « Tu ne connais pas le triangle des Bermudes ? »
— « Si, bien sûr. Mais c’est une légende… Comme l’Atlantide, ou les extraterrestres qui ont construit les pyramides. »
— « Mais n’importe quoi ! C’est prouvé qu’on disparaît là-bas ! »
Que répondre à ça ? L’esprit humain aime les mythes. Une fois, un gars m’a même demandé si, à mon avis, la Terre était bien plate. Il avait l’air tellement convaincu que je lui ai confirmé qu’elle l’était. Il en a été tout heureux :
— « J’en étais sûr ! »
Parfois, il vaut mieux laisser les gens croire ce qu’ils veulent. Ça leur fait plaisir. Et moi, ça m’économise de la salive.
À 250 milles au Nord des Bermudes, tout change soudainement. Baluchon et moi quittons les alizés et leur confort pour entrer dans une autre dimension. Comme si un mur invisible séparait deux mondes, la mer et le ciel se métamorphosent : le bleu intense vire au vert sombre, presque noir. L’Atlantique Nord s’ouvre devant nous. La troisième nuit sous ce régime me réserve une rude épreuve. La température chute brutalement, la pluie tombe sans relâche depuis 48 heures. Je ressors ma veste de quart, oubliée depuis presque un an, et découvre qu’elle a perdu son étanchéité. Le vent, modéré mais serré au près, envoie des paquets de mer, rendant l’atmosphère glaciale et humide. À la tombée du jour, la pluie faiblit et je déploie la voile pour avancer un peu. Le mauvais temps m’a mis à plat moralement, chaque mille gagné est une victoire. Sous mon duvet, la voile bas mollement. Soudain, le vent se lève en tempête, la mer blanchit instantanément. Je bondis pour réduire la toile, mais le vent est si fort que Baluchon s’allonge dangereusement sur le flanc, la voile trempe dans l’eau glaciale. La pluie et la grêle martèlent le pont comme un karcher.
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Un sifflement strident me vrille l’oreille.
Je lutte pour choquer l’écoute, la voile gonflée est tendue à l’extrême. Après avoir presque imploré puis menacé le coinceur, je parviens à libérer la tension. Le bateau se redresse d’un coup, la voile claque sauvagement. Une petite poulie en plastique me frappe violemment la tête. Un éclair de douleur, le sang mêlé à la pluie transforme le fond du cockpit en tableau rouge. Un sifflement strident me vrille l’oreille. Comment un si petit objet peut-il faire autant de dégâts ? Moi qui pensais être à l’abri sans bôme… Je serre les dents, réduis la voile au maximum, puis m’abrite à l’intérieur. Le vent hurle dehors, la pluie et la grêle me mitraillent encore. Je tente d’arrêter le saignement avec du papier toilette, les jambes tremblantes. À quelques centimètres près, la blessure aurait pu être fatale. Après un temps, je m’endors, incapable de lutter contre ce chaos. Le réveil au petit matin est dur : visage strié de sang séché, œil injecté, mais plus d’acouphène. Je nettoie la plaie, remets un sweat par-dessus mon tee-shirt taché, relève un peu de voile. J’avale la dernière poignée de bonbons qui me reste, un réconfort précieux.
Cap au Nord !
Trois jours plus tard, le vent tombe, vire au Nord, la température baisse encore. La mer se calme, bouillonne de vagues pyramidales étranges. Une légère brume enveloppe l’air, je devine que nous sommes sur le Gulf Stream, même si la fraîcheur me surprend. Un SMS d’une amie proche me presse de faire demi-tour : un coup de vent violent se prépare plus au Nord. Un bulletin météo reçu la veille parle d’une dépression classique pour la région, rien d’exceptionnel. Je doute. Tempête majeure ou simple grain ? La mer étrange, le vent de face, ma fatigue et cette pointe d’inquiétude me poussent à reculer, pour y voir plus clair. À peine ai-je décidé que le ciel se dégage. Le soleil revient après dix jours. Je fais sécher duvet et veste, entreprends un ménage sommaire, me prépare un repas chaud, un luxe depuis plus de deux semaines. Le lendemain, un nouveau SMS confirme un coup de vent à venir, mais rien de dramatique. Impossible d’éviter toutes les dépressions par demi-tour. Entre prudence et volonté d’avancer, je choisis enfin : cap au Nord !
Nous avançons, inséparables.
Baluchon et moi reprenons la route. Le vent plein Sud m’aide à franchir la veine de courant. Le Gulf Stream nous saisit comme un toboggan géant, nous propulsant à plus de 4 nœuds sans effort. En une nuit, plus de 50 milles parcourus, autant que nos journées depuis Saint-Martin. Le calme revient au matin, la vitesse chute. C’est fascinant : peu de bateaux lents doivent percevoir cette force naturelle. Heureusement, elle nous pousse dans la bonne direction. Avec 700 milles encore à parcourir, 25 jours de navigation au compteur, j’ai l’impression d’avoir franchi un cap. Je prépare mon sac de survie, rajoute lunettes, papiers, téléphone de secours. Prudence oblige, même si j’espère que la tempête annoncée n’arrivera pas. Le jour suivant, le vent se renforce jusqu’à un force 8 modéré. Je roule la voile au minimum et libère la barre, Baluchon se met en cape naturellement, stabilisé. Je m’enferme à l’intérieur, emmitouflé dans mon duvet trempé, et regarde un vieux James Bond sur mon smartphone. La vie est belle, malgré tout. Après quatre heures, le vent faiblit légèrement. Je sors la tête du capot. Dans la nuit noire, un feu blanc intense apparaît près de moi. Un bateau de pêche ! À 300 milles de la terre la plus proche, impressionnant. Il s’approche, je change de cap pour l’éviter, mais il me suit. Je sors, fais des signes lumineux. On communique un peu sur VHF dans un anglais très approximatif. Peu à peu, il s’éloigne. Je reprends la route au Nord, le vent fort soulève des gerbes d’écume. Baluchon frappe les vagues, mais nous avançons, inséparables.
Baluchon est à quai. Voilà, ça y est, Yann Quenet vient d’atteindre Saint-Pierre-et-Miquelon après 39 jours de mer depuis les Antilles ! | YANN QUENET
Les jours suivants marquent une nouvelle phase du voyage : les jours rallongent, mais la température chute autour de 10 degrés, comme un février breton. Malgré mes multiples couches de vêtements et mes rations lyophilisées, je grelotte sans cesse. Mon duvet trempé est inutilisable, je me réfugie sous une bâche plastique pour rester au sec et tenter de conserver un peu de chaleur. Fini les lectures, je me contente de faire le dos rond en attendant des jours meilleurs. L’humidité est telle que l’eau ruisselle du plafond, mes doigts sont fripés au point que mon smartphone refuse mon empreinte digitale. Parfois, la température remonte à 14 degrés, redonnant un peu de moral. Je regrette de ne pas avoir investi dans un vrai duvet ou une veste chaude, mais il n’y avait pas de magasins adaptés sur ma route. Je continue donc plein Nord, en visant une escale éventuelle à la Nouvelle-Écosse si le froid devient trop dur.
Pour une arrivée discrète, c’est raté !
Au 37e jour, je suis à 80 milles de Saint-Pierre, impatient d’arriver, même si je sais qu’attendre le petit matin pour entrer au port ne serait pas un problème. Pour la première fois, je prends la barre intérieure, enroulé dans ma bâche, et barre une bonne partie de la nuit. Grâce au vent tourné au Sud, je pousse Baluchon à plus de 4 nœuds, parfois jusqu’à 6. Le brouillard, quasi permanent, se dissipe un peu, offrant une visibilité d’environ 100 à 200 mètres. Ici, contrairement à la Bretagne, le brouillard ne calme pas le vent, il fait partie de l’ambiance austère et humide. À moins de 10 milles du port, j’hésite à me laisser dériver le temps que la pluie cesse. Finalement, un crachin léger me pousse à tenter l’approche. La terre apparaît dans la brume, et je m’installe dehors, vigilant face aux rochers noirs où la mer éclate en gerbes d’écume. Mon adrénaline monte, fini la tranquillité du large. Je repère une bouée, puis une autre, et entre elles un filet de pêche tendu en travers de ma route, à une vingtaine de mètres. Le vent arrière et la mer agitée compliquent la manœuvre. Un coup de barre, mais ma voile tangonnée me fait risquer l’accrochage. Par miracle, Baluchon passe au-dessus du filet sans s’y prendre. Je rigole nerveusement, soulagé mais conscient qu’il faudra plus de prudence. Protégé du vent, je prépare mon arrivée, sortant les pare battages, les aussières et l’ancre. Puis j’aperçois un autre voilier dans la brume : un rare croisement ici. Ce voilier, Arthur, est venu m’accueillir, sûrement alerté par mon AIS. Je suis à la fois surpris et touché par cette attention. Nous naviguons ensemble jusqu’au quai, où m’attendent le capitaine du port, gendarmes, douaniers et une équipe de télévision. Pour une arrivée discrète, c’est raté !